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Texte explicatif : Que sont les 'Pandora Papers' ?

3 octobre 2021 Par DT Cochrane

Image: ICIJ

Pandora Papers ICIJ

Le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a publié une nouvelle fuite d'informations sur les manigances financières des personnes ultra-riches et puissantes. L'ICIJ appelle ce trésor d'archives les "Pandora Papers".

D'une part, cette nouvelle fuite confirme ce que nous savons depuis longtemps : l'élite mondiale utilise toute une série de techniques contraires à l'éthique, dont beaucoup sont d'une légalité douteuse, pour amasser sa fortune et échapper à l'impôt. D'autre part, chaque fuite de l'ICIJ nous en apprend un peu plus sur le qui et le comment de la thésaurisation des richesses mondiales. Et chaque fuite nous rappelle également le peu de mesures prises par le gouvernement canadien pour mettre fin à ces pratiques néfastes.

 

QUI EST L'ICIJ ?

L'ICIJ est une organisation à but non lucratif qui coordonne le journalisme d'investigation sur des questions qui transcendent les frontières nationales. 

Nos systèmes politiques, économiques et financiers sont totalement mondialisés. Comprendre ces systèmes, et leur demander des comptes, exige un journalisme tout aussi mondial. L'ICIJ soutient cette nécessaire collaboration mondiale entre journalistes. La dernière fuite a impliqué plus de 600 journalistes de plus de 100 pays. 

L'ICIJ sollicite activement des documents ayant fait l'objet d'une fuite, ainsi que des informations sur des abus de pouvoir potentiels, qui exposent les pratiques autrement clandestines des puissants. Lorsque l'organisation à but non lucratif a reçu une piste, elle coordonne l'échelle appropriée d'enquête transnationale par ses membres.

L'ICIJ a déjà coordonné d'autres enquêtes sur les abus des paradis fiscaux, notamment les Panama Papers (2016), les Paradise Papers (2017), les FinCen Files (2021), etc.

 

POURQUOI LES APPELLE-T-ON LES 'PANDORA PAPERS' ?

La première fuite très médiatisée rapportée par l'ICIJ provenait d'un cabinet d'avocats panaméen appelé Mossack Fonseca. Elles étaient donc connues sous le nom de "Panama Papers". Une fuite ultérieure a été appelée les Paradise Papers. Tout comme les Panama Papers, les documents provenaient d'une société située aux Bermudes, un pays au climat tropical et aux plages magnifiques. 

Le nom "Pandora Papers" fait référence à la figure mythique de Pandore, qui a ouvert une boîte qui a libéré une maladie dans le monde. Dans le cas présent, la maladie de l'inégalité des richesses est déjà présente dans le monde. Les "Papers" sont en fait un catalogue de la manière dont les élites riches maintiennent leurs positions privilégiées.

 

QUE CONSTITUENT LES PANDORA PAPERS ?

Les Pandora Papers sont constitués d'environ 12 millions d'enregistrements décrits par l'ICIJ comme "des documents, des images, des courriels, des feuilles de calcul, et plus encore." Ils décrivent l'utilisation de diverses entités juridiques, telles que des sociétés écrans et des trusts, pour acheter et vendre des actifs, notamment des biens immobiliers, des yachts, des œuvres d'art et des instruments financiers. La majorité des documents datent de 1996 à 2020.

L'ICIJ a dû d'abord organiser tous ces éléments disparates avant de pouvoir commencer à les analyser. 

 

D'OÙ VIENNENT LES DOCUMENTS PANDORA ?

Alors que les fuites précédentes provenaient d'une seule entreprise, ces rapports proviennent de 14 sociétés différentes appelées "prestataires de services offshore". Il s'agit de sociétés qui proposent des fonctions commerciales - comme la création d'une société écran - dans une juridiction autre que celle où réside le bénéficiaire. 

Ces 14 sociétés opèrent dans des dizaines de juridictions, dont le Canada.

Ces sociétés ne représentent qu'une infime partie de tous les prestataires de services offshore. Par exemple, six de ces sociétés ont un bureau dans les îles Vierges britanniques. Mais l'ICIJ note que dans les îles Vierges britanniques, il y a au moins 101 sociétés qui offrent des services similaires.

 

QUI A DIVULGUÉ LES PANDORA PAPERS ?

Les documents ont été divulgués de manière anonyme. L'ICIJ s'efforce de protéger l'identité des auteurs des fuites. En plus d'analyser les documents pour en comprendre le contenu, le groupe doit s'assurer qu'ils ne contiennent pas d'informations qui pourraient exposer les auteurs de la fuite. Bien que les documents contenus dans les Pandora Papers ne soient pas encore publics, l'ICIJ a rendu publiques des données provenant de fuites antérieures, notamment les Panama Papers et Paradise Papers.

Les possibilités les plus probables pour les auteurs des fuites sont des hackers éthiques ou des initiés indignés. Dans tous les cas, ce sont des héros qui ont fait la lumière sur ce monde financier clandestin.

 

QU'AVONS-NOUS APPRIS DES DOCUMENTS PANDORA ?

Une grande partie des efforts de l'ICIJ pour organiser les millions de documents et les rendre utiles aux journalistes a été consacrée à l'identification des bénéficiaires effectifs des sociétés. Parmi ces propriétaires figurent des noms très en vue : hommes politiques, célébrités, hommes d'affaires. Les premiers reportages se sont concentrés sur ces personnalités.

La BBC a proposé un résumé de ce que les premiers rapports internationaux ont révélé. La CBC et le Toronto Star ont tous deux fait état de certains noms canadiens très en vue trouvés dans les Papers.

Les plus importantes révélations sont celles concernant les hommes politiques. Des présidents, des ministres des finances, un roi et d'anciens chefs de gouvernement sont identifiés parmi ceux qui bénéficient de ce monde exclusif d'ultra-riches. Ce sont les personnes sur lesquelles nous comptons pour changer les règles rendant illégaux les systèmes internationaux d'évasion fiscale.

Cette fuite a également révélé à quel point le Dakota du Sud est devenu une plaque tournante dans le réseau mondial du secret des richesses. C'était, de loin, l'État le plus identifié aux trusts établis par les prestataires de services offshore. Le Dakota du Sud semble avoir dépassé le Delaware en tant qu'État américain le plus favorable aux paradis fiscaux.

Si d'autres noms vont être révélés dans l'immédiat, les chercheurs vont continuer à exploiter ces données pendant des années.

Nous apprendrons plus de détails sur les stratagèmes utilisés. Les tenants et aboutissants des stratagèmes d'évasion fiscale peuvent être très compliqués. Mais les enquêteurs fiscaux ont besoin de ces informations pour assurer la conformité. 

Nous obtiendrons également davantage d'analyses portant sur la structure plus large des propriétaires fortunés. Étant donné que les types d'accords de propriété exposés dans ces fuites sont presque entièrement le domaine exclusif des plus riches des riches, ces documents constituent une fenêtre importante sur un monde de l'ombre. 

Les personnalités les plus en vue, avec leurs personnalités publiques soigneusement gérées, ne représentent qu'une infime partie des milliers de personnes obscènement riches impliquées. Les membres de cette classe de propriétaires raréfiés ont plus en commun qu'une volonté commune d'utiliser des stratagèmes contraires à l'éthique, voire illégaux, pour éviter les impôts. Nous devons mieux comprendre leurs intérêts et pratiques communs.

 

COMBIEN D'ARGENT EST IMPLIQUÉ ?

L'ICIJ n'a pas communiqué de chiffre pour le total des actifs impliqués. Cependant, nous pouvons affirmer sans risque de nous tromper qu'il s'agit de billions de dollars. 

On estime que l'évasion fiscale internationale coûte aux gouvernements des centaines de milliards de dollars de recettes chaque année. Ces estimations sont - on le comprendra - très incertaines car le secret est un élément clé de l'évasion fiscale de l'élite.

Qu'il s'agisse de centaines de milliards ou de billions, l'argent qui n'est pas collecté par les gouvernements reste sous le contrôle des personnes ultra-riches. Ces privilégiés sont en mesure de tirer parti de cette richesse pour s'enrichir encore davantage. L'aggravation de l'inégalité des richesses donne aux élites financières un pouvoir encore plus grand pour contourner les règles, s'en sortir en les enfreignant et truquer le système.

 

QUE SIGNIFIENT LES PAPIERS DE PANDORE POUR LE CANADA ?

Il y a des noms canadiens dans les Pandora Papers, tout comme il y en avait dans les Paradise Papers et les Panama Papers. Cela commence à ressembler un peu au Jour de la marmotte. Cela est dû à une réponse inadéquate du gouvernement. Nous sommes à la traîne de certains de nos pairs internationaux en matière de transparence financière. Il est temps de faire du rattrapage.

Nous savons également que l'expertise comptable canadienne est impliquée. Un comptable canadien aurait participé à la création du réseau secret de détention d'actifs mondiaux du roi de Jordanie. 

Ce n'est pas la première fois que des comptables canadiens sont impliqués dans un système d'évasion fiscale très médiatisé. Une telle expertise a également été impliquée dans le scandale de l'île de Man, qui a terni la réputation du géant de la comptabilité KPMG. 

L'expertise canadienne en matière de contournement des impôts est apparue comme une partie des qualités de paradis fiscal de ce pays. Il est à espérer qu'un registre de la propriété effective promis détournera les talents canadiens des méthodes innovantes d'évasion fiscale à des fins plus bénéfiques pour la société.

Le Bureau parlementaire du budget estime que le Canada perd environ 25 milliards de dollars en impôts sur les sociétés à cause du transfert de bénéfices, qui exploite les différences fiscales internationales. Pour mettre ce chiffre en perspective, il suffit d'embaucher deux préposés aux services de soutien à la personne pour chaque lit de soins de longue durée au pays ET de payer les frais de scolarité de chaque étudiant de niveau post-secondaire.

 

QUE POUVONS-NOUS FAIRE ?

Si toutes les personnes exposées par les "Pandora Papers", qu'elles aient commis des actes illégaux ou simplement contraires à l'éthique, doivent être considérées avec mépris, il s'agit véritablement d'un problème systémique. Les agences fiscales devraient enquêter sur les personnes impliquées et engager des poursuites judiciaires si possible. Mais plus important encore, cela renforce la nécessité pour les gouvernements d'agir. Les actions promises après les Panama Papers ont été trop lentes et inadéquates.

Voici quatre mesures immédiates que nous devrions exiger du gouvernement :

1. Augmenter le financement de l'ARC pour enquêter sur les stratagèmes fiscaux internationaux.

Au cours des cinq années qui ont suivi la publication des Panama Papers, l'ARC n'a pas inculpé une seule personne. Cela est dû soit à la complexité des cas, soit à l'absence de politiques appropriées qui rendaient les stratagèmes légaux en vertu du droit fiscal canadien, soit au manque de moyens pour faire appliquer la loi de manière adéquate. Quoi qu'il en soit, l'ARC a besoin de plus de ressources le plus tôt possible.

2. Introduire un registre public de la propriété effective.

Le gouvernement l'a promis dans le dernier budget. Le NPD et les Verts ont tous deux soutenu un registre dans leur programme électoral. L'échéancier du budget doit être accéléré. Nous devons savoir qui possède quoi et où. Ensuite, nous pourrons demander " pourquoi " et séparer les raisons légitimes des raisons illégitimes.

3. Mettre en place un taux minimum mondial d'imposition des sociétés d'au moins 21 %.

Un impôt minimum sur les sociétés suffisamment élevé réduirait considérablement l'incitation à utiliser les paradis fiscaux. Si une entreprise utilise un stratagème de planification fiscale pour réduire ses impôts en deçà du minimum, le Canada imposerait alors un impôt qui garantit un paiement minimum. L'administration Biden avait suggéré de mettre en place un impôt minimum de 21 %. Malheureusement, lors des négociations du G20, ce taux a été ramené à 15 %, ce qui est beaucoup moins efficace.

4. Mettre fin aux accords de double non-imposition avec les juridictions connues pour être des paradis fiscaux.

L'objectif de ces accords est censé être d'éviter la "double imposition". Lorsqu'il paie des impôts dans une juridiction étrangère, une entreprise ou un particulier canadien est censé pouvoir éviter d'être à nouveau imposé dans son pays sur le même revenu. Toutefois, le problème le plus grave est la double non-imposition. Ces accords renforcent les systèmes internationaux d'évitement fiscal, augmentant considérablement la probabilité que les revenus des entreprises ne soient imposés ni à l'étranger ni dans le pays.

5. Imposer un impôt minimum sur les actifs étrangers détenus par les Canadiens.

Cela garantirait que les Canadiens qui exploitent les paradis fiscaux ne peuvent pas éviter de payer un montant raisonnable d'impôt sur les actifs et les revenus mis à l'abri. Tout impôt payé à une autre juridiction pourrait être déclaré et déduit, avec un complément payé au Canada pour atteindre le minimum.

 

CONCLUSION

Ce ne sont là que quelques-unes des mesures que le gouvernement fédéral peut prendre pour réduire la capacité des élites à amasser des richesses et à éviter les impôts. Nous pouvons renforcer le langage des "règles anti-évitement généralisées", qui précisent quels types de "planification fiscale" violent l'esprit de nos lois fiscales. Nous pouvons renforcer les sanctions en cas de violation de nos lois fiscales. Nous pouvons collaborer avec la communauté internationale pour créer un registre mondial des actifs. Nous pouvons demander des comptes aux conseillers qui créent des systèmes d'évitement fiscal. 

En tant qu'individus, nous devons dire à nos représentants gouvernementaux que nous voulons des actions. Tous les grands partis ont reconnu le problème de l'inégalité économique lors des dernières élections. Maintenant, ils doivent faire plus que parler. Ils doivent reconnaître que l'inégalité est impliquée dans presque tous les autres problèmes auxquels les Canadiens sont confrontés.

Si nos politiciens veulent parler de l'abordabilité du logement, demandez-leur ce qu'ils font au sujet des achats provenant des paradis fiscaux. S'ils veulent parler de la criminalité, demandez-leur ce qu'ils font au sujet de la criminalité en col blanc, beaucoup plus coûteuse. S'ils veulent parler de la crise climatique, demandez-leur ce qu'ils font au sujet des émissions beaucoup plus élevées des personnes ultra-riches. 

Les riches ont bénéficié d'un ensemble de règles distinctes pendant bien trop longtemps. 

 

[Traduit de l'anglais.]

 

Image: ICIJ