Le Parlement issu de l'élection 44 est peu différent de sa composition préélectorale. Néanmoins, il y a des raisons d'espérer que le mandat minoritaire renouvelé produira une action positive du gouvernement en matière d'équité fiscale.
L'élection a replacé les libéraux en position minoritaire, le NPD et le Bloc détenant chacun la balance du pouvoir. Le NPD et le Bloc ont tous deux préconisé des mesures de revenu fortes dans leurs programmes. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a déclaré que l'augmentation des impôts sur les riches serait une condition du soutien de son parti.
Notre analyse de la plateforme électorale des libéraux a déploré un manque d'ambition. Cependant, étant donné la position de force du NPD et du Bloc, les libéraux pourraient être encouragés ou contraints à prendre des mesures plus audacieuses en matière d'équité fiscale.
Voici un certain nombre de moyens par lesquels les libéraux, le NPD et/ou le Bloc pourraient obtenir d'importants résultats en matière de politique fiscale afin de lutter contre l'inégalité et de générer des revenus.
DES PLATEFORMES
Augmenter le soutien à l'ARC
Tous les partis qui ont remporté des sièges au Parlement ont demandé un soutien accru à l'Agence du revenu du Canada. Ils ont tous souligné la nécessité d'enquêter davantage sur les particuliers les plus riches et les sociétés les plus puissantes et d'en assurer l'application.
Les impôts des riches deviennent de plus en plus complexes, car les planificateurs fiscaux conçoivent de nouveaux stratagèmes pour réduire la facture fiscale et les riches profitent de l'abaissement des barrières pour les flux de capitaux transnationaux. Pour s'assurer qu'ils paient leur juste part, il faut de l'expertise et de l'expérience. Cette dernière a été mise à mal par des années de compressions au moment même où les responsabilités de l'ARC étaient élargies.
De tous les partis, ce sont les libéraux qui ont promis le financement le plus accru. Avec un soutien unanime pour l'augmentation du financement de l'ARC, les libéraux devraient être en mesure de tenir rapidement cette promesse. Le gouvernement devrait agir rapidement pour augmenter le financement de l'ARC et améliorer la capacité de l'agence à identifier l'évasion fiscale des sociétés et des riches.
En plus d'augmenter le financement de l'ARC, le gouvernement devrait mandater l'agence et lui donner les moyens de fournir une plus grande transparence sur les impôts prélevés et perçus. Cela devrait faire partie d'un programme plus large visant à améliorer la transparence financière.
La promesse des libéraux d'augmenter le financement de l'ARC de 2,5 milliards de dollars sur quatre ans a été estimée par le directeur parlementaire du budget à 11,9 milliards de dollars de recettes supplémentaires.
Mettre en place un ajustement carbone à la frontière
À l'heure actuelle, les producteurs des pays qui ne sont pas soumis à une forme quelconque de taxe sur le carbone bénéficient d'une subvention effective par rapport aux entreprises canadiennes. Cela signifie que les importations de ces pays sont artificiellement moins chères que la production nationale, ce qui peut pousser les émissions ailleurs plutôt que de les réduire. Un ajustement du carbone à la frontière permettrait de remédier à cette disparité. L'ajustement est essentiellement un tarif appliqué aux importations de biens provenant de pays qui ne facturent pas les émissions aux producteurs.
Les libéraux, les conservateurs et les néo-démocrates ont tous mentionné un ajustement du carbone aux frontières dans leur programme électoral.
Le NPD a réclamé cet ajustement sans équivoque. Les libéraux et les conservateurs offrent tous deux un soutien mitigé. Les libéraux veulent mettre en œuvre l'ajustement en collaboration avec les États-Unis et l'Union européenne. Les conservateurs ont déclaré qu'ils travailleraient avec l'administration Biden pour établir une norme nord-américaine, l'ajustement étant appliqué aux importations en provenance de pays ayant des normes d'émissions plus faibles.
Une action unilatérale sur un ajustement carbone à la frontière serait la meilleure solution. Elle nous permettrait de réduire l'échappatoire considérable qui permet à certains de nos plus grands émetteurs industriels d'éviter la taxe sur le carbone. Si la collaboration internationale ralentit toujours la mise en œuvre, les trois parties reconnaissent au moins l'utilité d'un ajustement du carbone à la frontière.
Mettre en place une taxe sur les bénéfices excédentaires
Pendant la pandémie, de nombreuses entreprises ont récolté des profits non pas grâce à une productivité, une innovation ou une efficacité accrues, mais plutôt en raison de l'économie pandémique soutenue par le gouvernement.
Les libéraux ont promis d'instaurer un " dividende de relance canadien " temporaire pour les banques et les compagnies d'assurance dont les bénéfices sont supérieurs à 1 milliard de dollars par an. Nous avons critiqué cette mesure comme étant une mise en œuvre inutilement étroite. Toutefois, il s'agit d'un excellent point de départ.
Le NPD a préconisé un impôt plus général sur les bénéfices excédentaires. Ensemble, les deux partis devraient être en mesure d'introduire rapidement une mesure de revenu qui détourne les profits dérivés de la pandémie des coffres des entreprises vers le gouvernement où ils peuvent financer les dépenses de relance continues.
Renforcer les FPI
Les fiducies de revenu immobilier ne paient pas d'impôt sur les sociétés. Ce traitement préférentiel des FPI a de nombreux effets pervers, notamment des pertes fiscales importantes pour le gouvernement. Ces distorsions indésirables ont été reconnues après un boom rapide des fiducies de revenu non immobilières qui a contraint le gouvernement conservateur de Stephen Harper à mettre fin à leur traitement préférentiel, sauf pour celles de l'immobilier.
Il y a peu de raisons économiques de maintenir la structure de fiducie pour l'immobilier. L'aspect le plus inquiétant des FPI est leur contrôle croissant des logements locatifs résidentiels. Elles sont également devenues une force de lobbying importante.
Les libéraux ont promis de " revoir les traitements fiscaux " des " grandes sociétés propriétaires " de logements résidentiels, y compris les FPI, et de " freiner les profits excessifs ". Le NPD devrait appuyer un examen immédiat dans le cadre de la lutte contre l'inégalité et pour rendre le logement plus abordable.
AU-DELÀ DES PLATEFORMES
Instaurer un impôt sur la fortune
Certes, il s'agit d'un pari risqué. Les libéraux n'ont pas inclus d'impôt sur la fortune dans leur programme. Peu avant les élections, le député libéral Nathan Erskine-Smith a évoqué publiquement la possibilité d'un impôt unique sur la fortune dans le cadre de la réduction de la dette fédérale due à la pandémie. Cependant, une telle mesure était introuvable au moment des élections.
Le NPD a réclamé un impôt permanent sur la fortune de 1 % sur les fortunes supérieures à 20 millions de dollars et a mené une campagne agressive sur cette question. Cela a provoqué un retour de bâton de la part du premier ministre, qui a insisté sur le fait que son parti avait pris des " mesures importantes " pour s'assurer que les riches paient leur juste part.
Bien que les libéraux aient augmenté le taux marginal supérieur de l'impôt sur le revenu des particuliers et qu'ils mettront bientôt en œuvre une taxe sur les services numériques promise depuis longtemps, il reste encore beaucoup à faire pour véritablement lutter contre les inégalités. Un impôt sur la fortune serait le moyen le plus direct d'y parvenir. Il permettrait également de générer des revenus considérables. Le DPB a estimé que l'impôt sur la fortune proposé par le NPD rapporterait 60 milliards de dollars au cours des quatre prochaines années.
Dans sa réponse au NPD, le PM a assimilé la richesse au succès, ce qui est regrettable. L'idée qu'un investisseur milliardaire mérite des ordres de grandeur plus élevés de richesse qu'un travailleur de soutien personnel qui s'occupe de nos aînés dans les soins de longue durée est manifestement ridicule, mais en quelque sorte largement acceptée. Les riches s'enrichissent surtout en étant déjà riches.
Le Bloc a également inclus un impôt sur la fortune dans son programme, bien que, comme la version d'Erskine-Smith, il ait été conçu pour être temporaire et ne durer que trois ans.
Bien qu'il soit peu probable que les libéraux introduisent un impôt sur la fortune, ils devraient à tout le moins faire ce que Linda McQuaig a récemment suggéré et tenir une enquête publique sur cette mesure.
Augmenter le taux d'inclusion des gains en capital
Actuellement, seule la moitié du bénéfice réalisé sur la vente d'un actif est imposée comme un revenu. Le C4TF préconise depuis longtemps l'élimination de ce traitement fiscal préférentiel.
Pendant la campagne électorale, les libéraux n'ont fait aucune mention du taux d'inclusion des gains en capital. Lors du dernier congrès libéral, une motion visant à augmenter le taux d'inclusion a été rejetée. Pourtant, une telle augmentation pourrait avoir lieu sous ce gouvernement.
Dans la lettre de mandat de 2019 adressée à Bill Morneau, alors ministre des Finances, Justin Trudeau a déclaré que le ministre devait "entreprendre un examen des dépenses fiscales pour s'assurer que les Canadiens riches ne bénéficient pas d'allégements fiscaux injustes." Dans la lettre complémentaire remise à Chrystia Freeland lorsqu'elle est devenue ministre des Finances, elle a été chargée d'identifier "des moyens supplémentaires d'imposer l'extrême inégalité de la richesse." L'augmentation du taux d'inclusion des gains en capital contribuerait grandement à ces deux objectifs.
Plus de 90 % des bénéfices vont aux 10 % des personnes ayant les revenus les plus élevés [pdf]. Le traitement préférentiel des gains en capital non gagnés par rapport aux revenus salariaux est manifestement injuste. Il coûte également au gouvernement fédéral plus de 11 milliards de dollars par an.
La motion rejetée lors du congrès libéral demandait l'inclusion complète des gains en capital, ce que le C4TF préconise également. Cependant, le NPD a fait campagne sur l'augmentation du taux d'inclusion à 75 %. Il s'agit d'une position de compromis que les libéraux pourraient être disposés à adopter.
Chef de file en matière de réforme de la fiscalité internationale
Chrystia Freeland est l'un des libéraux les plus en vue. Elle est la première femme à occuper le poste de ministre fédéral des Finances. Avant d'entrer en fonction, Mme Freeland était une journaliste bien connue qui a écrit un livre intitulé Plutocrats : The Rise of the New Global Super-Rich and the Fall of Everyone Else. Avant de devenir ministre des finances, elle était ministre des affaires étrangères. Elle est la personnalité idéale pour mener les efforts de réforme fiscale au niveau international.
Les craintes sont exagérées qu'une action unilatérale du Canada visant à augmenter les impôts des riches ne les fasse fuir du pays. Cependant, l'une des meilleures façons de contrer ces craintes est de déployer des efforts concertés et coordonnés entre les principales économies. Comme le sous-titre du livre de Mme Freeland l'indique clairement, la cible de ses critiques est le "super-riche mondial". Ce groupe raréfié a bénéficié pendant des décennies d'un traitement fiscal préférentiel.
Les taux d'imposition des sociétés sont à des niveaux historiquement bas après une course internationale vers le bas. Les sociétés transnationales sont de plus en plus capables d'affecter leurs bénéfices aux juridictions où les taux d'imposition sont les plus bas. Les personnes très fortunées sont en mesure de mettre leur fortune à l'abri dans des juridictions à faible fiscalité, souvent de manière anonyme par le biais de sociétés écrans.
Après l'élection de Joe Biden à la présidence des États-Unis et sa nomination de Janet Yellen au poste de secrétaire au Trésor, les États-Unis ont commencé à préconiser des mesures fiscales internationales plus progressives. Cela survient après plusieurs années de recommandations de l'OCDE en faveur d'une réforme de la fiscalité internationale visant à réduire le déplacement des bénéfices et l'érosion des assiettes fiscales des pays. Jusqu'à présent, malheureusement, le Canada a suivi, souvent lentement.
Le NPD et le Bloc doivent rappeler à Mme Freeland les convictions qui l'ont amenée à écrire de façon critique sur les "super-riches mondiaux". Et Mme Freeland doit utiliser ses connaissances et son autorité pour mettre le Canada en avant sur ces questions.
Se défendre contre la rhétorique de l'austérité
L'une des plus importantes réalisations des libéraux de Trudeau a été de mettre fin au quasi-consensus sur l'austérité que les libéraux partageaient avec les conservateurs. Bien que Stephen Harper soit souvent considéré comme le Grinch en ce qui concerne les dépenses fédérales, il est important de se rappeler que ce sont les libéraux de Chrétien qui ont sabré à la fois dans les recettes et les dépenses.
Lorsque les libéraux de M. Trudeau ont accumulé des déficits perpétuels, de nombreux experts ont pensé que cela signifiait la mort politique. Mais l'électorat a récompensé cette position. Il est important que les libéraux maintiennent leur rempart contre ceux qui insistent sur le fait que des dettes record exigent des réductions de dépenses. Si les déficits importants sont une préoccupation, une imposition plus progressive est la réponse.
CONCLUSION
Nous nous remettons peut-être difficilement de la pandémie. Mais la crise climatique se poursuit. Il y a beaucoup de travail à faire pour les années à venir. Il n'y a pas de temps à perdre.
Le gouvernement minoritaire renouvelé doit travailler avec les autres partis pour gouverner efficacement. Nous espérons que les éléments progressistes du Parti libéral seront encouragés par la nécessité de collaborer avec le NPD et le Bloc pour adopter des lois.
Dans les domaines ci-dessus d'alignement réel et potentiel, nous avons identifié des dizaines de milliards de dollars en mesures de revenus. Celles-ci pourraient permettre des investissements importants dans une transition juste. Ou un programme d'assurance-médicaments attendu depuis longtemps. Ou un programme de logement social renouvelé.
Bien que nous gardions espoir, nous savons que l'organisation sociale est, comme toujours, la clé pour amener les partis au pouvoir et de l'opposition à faire de réels progrès vers une société plus juste et équitable.
{Photo de Xan White / Unsplash}
[Traduit de l'anglais.]